Jardins de soins : établir le dialogue entre les secteurs médical et horticole
SANTÉ. Les jardins et ateliers thérapeutiques relèvent d'un protocole qui accompagne les soins médicaux. Les végétaux doivent être choisis en fonction des pathologies et des typologies des patients. Horticulteurs et paysagistes peuvent apporter leur expertise, pour peu qu'ils arrivent à communiquer avec les professionnels de santé sur leurs attentes spécifiques et les réponses possibles.
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Béatrice Bonzom-Dedieu, paysagiste conceptrice (1) à Toulouse (31), est venue aux jardins de soins après la lecture d'un article sur l'hortithérapie aux États-Unis, pays qui a donné naissance à une filière mature et structurée. Elle a suivi plusieurs formations en France, mais n'en fait pas une spécialité unique pour ne pas se limiter au monde médical. Elle intervient également dans les entreprises pour animer des ateliers de gestion du stress. Elle a participé à une conférence organisée par le Lien horticole à l'occasion du salon Aquiflor, le 14 septembre dernier, au MIN de Toulouse, sur le thème « Le bien-être par les plantes ». Cet article reprend les éléments essentiels de cette intervention, dont une grande partie est à suivre sur www.lienhorticole.fr (2).
Bien plus qu'un apport de bien-être, le jardin de soins est un support s'inscrivant dans une démarche thérapeutique. Cliniques, Ehpad, maisons médicales ou centres hospitaliers..., chaque établissement propose un projet thérapeutique en fonction des groupes de patients dont il a la charge. Le jardin de soins est adapté à de nombreuses pathologies telles que la maladie d'Alzheimer ou certains troubles d'ordre psychiatrique. Il peut aussi participer à la rééducation fonctionnelle après un accident pour retrouver la maîtrise de ses gestes. « Un atelier d'hortithérapie peut faire l'objet d'une prescription par un médecin ; il peut ainsi venir en complément d'un traitement médicamenteux. Il s'inscrit dans un cadre qui en définit la durée, le rythme, le nombre et la fréquence des séances... personnalisé pour chaque patient. Enfin, pour être utile aux patients et aux soignants, l'atelier de jardin thérapeutique doit faire l'objet d'une évaluation : on mesure les bénéfices en comparant l'état des patients avant et après. » Si ce concept se développe très fortement en France depuis 5 ans environ, il existe depuis plus de 50 ans aux États-Unis, en Angleterre, au Japon... Sa naissance a coïncidé avec le retour des soldats américains traumatisés par la guerre du Vietnam. Depuis, les États-Unis proposent une filière diplômante avec des cursus de haut niveau.
Les attentes du monde médical
Ce contexte étant aujourd'hui bien compris, il convient de prendre en compte les besoins spécifiques des acteurs de la santé qui vont intervenir dans un projet de jardin dédié. Il y a des bénéfices concrets prouvés et mesurés, même s'il faut encore progresser sur ce point. Des ateliers autour des plantes peuvent aider les médecins à rééduquer le mouvement des mains, à redonner de la dextérité aux gestes, à travailler l'orientation dans le temps et dans l'espace. Et le rapport aux saisons permet à certains malades de se reconnecter.
Alors que certains traitements médicaux réduisent parfois les sensations, les plantes offrent à l'inverse la possibilité de stimuler les sens : éprouver la douceur d'une feuille ou les aspérités de certains végétaux râpeux, redécouvrir l'odorat, le goût... Dans ce cadre, les activités de jardinage ne sont pas considérées comme du travail ou du loisir. Elles deviennent des activités de socialisation.
Un jardin thérapeutique bien conçu peut apporter efficacité et crédibilité aux acteurs du monde médical. Pour beaucoup de projets, infirmiers et médecins volontaires vont eux-mêmes acheter des graines et des plants (par manque de budget dédié), sans connaître forcément les végétaux. Horticulteurs et paysagistes ont donc un vrai rôle à jouer. Ils peuvent faire preuve de pédagogie, apporter leur expertise. Ils connaissent les atouts, les vertus et spécificités des végétaux, mais aussi ceux qui sont allergènes, toxiques ou piquants. Ils peuvent enrichir la palette végétale, apporter de l'originalité, car on restreint trop fréquemment le jardin de soins aux plantes aromatiques. Pour bien se comprendre et sélectionner des végétaux adaptés, professionnels de santé et producteurs doivent dialoguer en amont afin de s'entendre sur les objectifs thérapeutiques en prenant en compte l'âge et la pathologie.
« Certains patients immunodéprimés (dans les cas de cancers, par exemple) ne doivent pas être exposés à des plantes allergènes telles que les graminées. Mais avec certains enfants autistes, au contact difficile, les graminées peuvent donner des sensations ludiques et nouvelles : la douceur, les chatouilles... La différence entre les plantes caduques et les persistantes permet aisément d'expliquer le cycle de la vie : les vivaces disparaissent quand arrive l'hiver puis elles renaissent au printemps. Par ailleurs, la résilience du végétal peut produire un effet miroir particulièrement intéressant pour les patients : la plante peut aussi tomber malade, se battre et s'en sortir, alors pourquoi pas moi ? »
Béatrice Bonzom-Dedieu estime que le jardin de soins est un marché de niche en plein développement en France. S'il intéresse de plus en plus les producteurs de plantes, il concerne également les fabricants et distributeurs de mobilier. La filière se structure, avec une offre sérieuse. Par exemple, pour des centres de rééducation fonctionnelle, avec des agrès installés sur des parcours de santé : dans un cadre végétal, les exercices seront plus stimulants que dans une salle de sport. On voit également arriver de nombreux modèles de jardinières PMR (pour les personnes à mobilité réduite), surélevées et ergonomiques. Certains mobiliers sont spécialement étudiés avec des CHU investis dans la rééducation. Et des formations se mettent en place. Le Domaine de Chaumont-sur-Loire (41) développe un programme complet de sessions courtes pour 2018, avec le projet de renforcer les aspects pédagogiques et le travail sur les végétaux à partir d'un espace dédié. Une dizaine de ces sessions sont déjà connues et un catalogue est téléchargeable (3).
Des exemples à suivre
Plusieurs projets de jardins ont abouti dans le cadre de véritables démarches thérapeutiques :
- à Nancy (54), un espace au profit de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer a été créé grâce à des neurologues (http://recherche-innovation.chu-nancy.fr/publications/articles-archives/jardins-therapeutiques-un-savoir-est-ne-a-nancy/ et http://www.maisons-de-retraite.frhttps://lebonheurestdanslejardin.org/tag/jardin-therapeutique-dans-une-unite-psychiatrique/in spécialement dédié à la psychiatrie a vu le jour au CHU (https://lebonheurestdanslejardin.org/tag/jardin-therapeutique-dans-une-unite-psychiatrique/) ;
- à Castelnaudary (11), 5 000 m2 de jardin ont été réalisés au coeur de plusieurs établissements (le centre hospitalier, une maison de retraite, le centre pour personnes atteintes de handicap mental et un centre pour personnes maltraitées et femmes battues). Ils ont été inaugurés en 2016 et portés par des bénévoles et des personnels médicaux (cf.Le Jardin des vents réunit et soigne, le Lien horticole n° 1014 du 10 mai 2017, p. 17).
Pour développer ces jardins spécialisés, il faut des animateurs. Ceux-ci sont, actuellement, le plus souvent des professionnels dans le domaine des activités artistiques (peinture, sculpture...) qui ajoutent à leur arc un volant d'ateliers de jardinage. On peut affirmer que le développement de postes d'animateurs jardiniers spécialisés serait un atout de professionnalisation de cette filière. Ils sont souvent le maillon entre la direction de l'établissement (pour les achats, les coûts, les budgets) et les horticulteurs et les paysagistes. Des paysagistes concepteurs commencent à se spécialiser en jardins thérapeutiques, mais attention à faire la part entre les professionnels convaincus par les bénéfices du jardin thérapeutique et les opportunistes qui ont flairé un nouveau marché lucratif. Des architectes concepteurs voient se multiplier les appels d'offres pour la construction de maisons de retraite et l'aménagement de jardins de soins. Mais il est encore très dihttps://www.lienhortichttp://www.domaine-chaumont.fr/fr/centre-de-formation/formations-courtes-jardin-de-soin-et-de-santele-117020.html
Odile Maillard
(1) Entreprise Mon jardin s'appelle reviens (monjardinsappellereviens.fr). (2) Vidéo : https://www.lienhorticole.fr/photos-et-videos/jardins-de-soins-comment-se-comprendre-entre-monde-medical-et-monde-horticole-117020.html (3) http://www.domaine-chaumont.fr/fr/centre-de-formation/formations-courtes-jardin-de-soin-et-de-sante
La paysagiste Béatrice Bonzom-Dedieu. PHOTO : MURIEL COMPAN ET ODILE MAILLARD
Les animatrices du centre de Chaumont-sur-Loire (41) ont été formées au sein de la résidence du Bourg à Yvoy-le-Marron (41) . Le jardin est devenu lieu de vie pour les retraités et leurs familles. PHOTO : FABIENNE PERRON
Une tendance et même un marché se développent pour la création de mobiliers spécialisés (jardinières, mini-jardins surélevés...) pour les personnes à mobilité réduite, en complément des formes plus classiques de jardinage. PHOTO : I. BOUCQ
Au Jardin des Vents de Castelnaudary, des enfants de maternelle ont participé aux plantations du jardin du foyer Les Hirondelles, où vivent de jeunes travailleurs handicapés. Tournesol, sorgho, haricots et maïs ont garni le potager des résidents. PHOTO : JOHN RIDDEL
À Nice (06), un jardin spécialement dédié à la psychiatrie a vu le jour au CHU. PHOTO : FRANCE PRINGUEY
Le contact avec une plante (sa texture, ses couleurs, ses formes, son parfum...) redonne des sensations et aide certains malades à se reconnecter. PHOTO : ODILE MAILLARD
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